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Floriane Bléas
Floriane Bléas
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21 décembre 2007

Au bord de l'abîme

Abîmé. Massacré. Saccagé. Pillé. Et surtout, à jamais, marqué. Que peut-il éclore, demain, des plaies du Liban si ce n'est la désolation, le désespoir, la douleur et le découragement ? « Tant l'horizon est opaque, il y a fort à parier que toutes les options demeureront ouvertes au Liban, y compris les pires. », relate Mouna Naïm, reporter pour le quotidien Le Monde. A l'aube de l'élection d'un nouveau président au Liban, la paix dans ce pays ressemble toujours à un funambule : en équilibre, mais sur le fil de la vie.

Frères ennemis

Telle une mère et son enfant, l'histoire du Liban est indivisible de celle de la Syrie. Pays limitrophes à la culture analogue, leurs mémoires s'entrelacent de passion et de haine. Malgré la déclaration de son indépendance en 1943, le pays des Cèdres est condamné, pour certains, à ne demeurer qu'une « province » de la Syrie. En 1975, alors que le Liban connaissait une guerre confessionnelle et civile, le gouvernement libanais a fait appel à Damas pour soutenir les chrétiens maronites. En 1976, le président syrien Hafez el-Assad ordonne l'entrée de troupes et de blindés au Liban. Ce qui était à l'origine un soutien devient alors une occupation. Quelques mois plus tard, le Liban est contraint de reconnaître la légitimité de la présence de la Syrie en son sein. De frère, la Syrie se métamorphose en un frère ennemi. « Nous vivons dans un pays où les drames s'enchaînent. Nous vivons dans un pays où on doit souffrir et souffrir encore pour gagner notre indépendance. », témoigne May Chidiac, journaliste libanaise anti-syrienne, victime d'un attentat à Jounieh (nord de Beyrouth) le 25 septembre 2005. C'est à cette même période que les forces syriennes consentent, sous la pression des Nations-Unies, à se retirer du Liban. « La Syrie et le Liban ont un lien anthropologique. On ne peut pas gouverner le Liban sans la Syrie mais on ne peut pas gouverner le Liban de Damas. », analyse Gérard D. Khoury, écrivain et historien, spécialiste du Liban.

Clivages confessionnels

De cette occupation, et de toutes les autres au cours des siècles, sont nées des hétérogénéités religieuses qui aujourd'hui déchirent le pays. L'histoire du Liban est « marquée par l'interpénétration de l'islam et du christianisme depuis treize siècles », note Georges Corm, écrivain et juriste libanais. L'émergence des communautarismes religieux sur ce territoire multi-confessionnel était sans doute inéluctable. La communauté chrétienne libanaise est dominée par les maronites, qualifiés deLiban_religions catholiques d'Orient. Parmi les musulmans, les chiites sont supérieurs en nombre aux sunnites. Les druzes, issus d'une branche du chiisme et professant une religion musulmane s'éloignant du dogme, sont minoritaires. Contrairement aux chiites, les druzes sont amplement considérés par les autres musulmans comme des hérétiques. Chacune de ces confessions craint la main mise d'une autre sur le pouvoir. Les maronites par exemple exigent que l'on accorde le droit de vote à la diaspora libanaise, majoritairement chrétienne. Les sunnites, eux, invoquent la possibilité de naturaliser les palestiniens ayant été expulsés d'Israël et de la Jordanie, majoritairement sunnites. Cette scission actuelle de la société libanaise, tout comme la guerre de 1975 évoquée plus haut, ne sont rien d'autre que des courses au pouvoir nées de clivages confessionnels. Des cicatrices de ces conflits, chacun pourrait tirer une leçon : on nait libanais avant de devenir maronite, chiite, sunnite ou druze etc. Malheureusement, les blessures trop profondément ancrées de ces hommes et de ces femmes entravent un tel discernement et partout, on prône un rééquilibrage, impossible, du partage des pouvoirs entre les différentes communautés. Dans ce pays divisé, le rétablissement de l'autorité de l'état semble être une priorié pour mener à la paix.

Hariri, l'espoir assassiné

Le 14 février 2005, le Liban vit probablement un tournant de son histoire. A 12h11, le véhicule blindé de Rafiq Hariri est la cible d'un attentat. L'ancien premier ministre et une douzaine d'autres personnes sont tués sur le coup. Pour la première fois depuis des décennies, les habituelles barrières communautaires et religieuses semblent ne plus compter. Le Liban tout entier, uni, descend dans les rues, condamne l'assassinat de cet homme et pointe immédiatement du doigt la Syrie. Assassinat_AririPourtant, Rafiq Hariri ne faisait pas l'unanimité dans le coeur des libanais. « Si nous rassemblions les irrégularités et abus commis par Hariri, auxquels s’appliquent les dispositions du Code pénal, il serait passible de neuf mille ans de prison. Il n’y a aucun article qu’il n’a pas violé. », témoignait en 1997 Najah Wakim, symbole du refus de la corruption chez les hommes politiques libanais. Rafic Hariri était également contesté pour avoir acquis « un contrôle fort sur les médias (...) Lors des gouvernements qu'il (Rafic Hariri) a dirigés, il n'a pas hésité à fermer les télévisions qui lui étaient hostiles, à poursuivre ou fermer provisoirement les journaux qui se permettaient de l'attaquer. », indique Georges Corm. Que l'on partage, ou non, la vision qu'avait Hariri du Liban, son assassinat a annihilé tout espoir de paix et a cristallisé la vie politique libanaise en deux camps : les pro syriens et les anti syriens. « En un an, il y a eu quatorze attentats. Marwan Hamadé, Elias el-Murr et moi en avons réchappé, mais pas Samir Kassir, Gebrane Tuéni, Georges Haoui et Rafiq Hariri, sans compter leurs gardes du corps et les nombreuses victimes « collatérales » comme on le dit aujourd'hui. », écrit May Chidiac dans son livre saisissant Le ciel m'attendra.

Enrayer les influences

Dernièrement, le Liban a encore été endeuillé par l'attentat qui a coûté la vie au général François El-Hajj (12 décembre 2007). Pour la première fois, cet assassinat visait un membre de l'armée et non plus une « souveraineté » politique. Une « souveraineté » très relative d'ailleurs puisque le Liban, bien qu'indépendant, a toujours été et demeure un pays sous influence. Le récent voyage au Liban (à la mi-décembre 2007) de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires Étrangères, atteste de l'ascendance de la France sur le pays des Cèdres. Depuis l'expiration du mandat du président Emile Lahoud (en novembre 2007), le Liban traverse un vide institutionnel majeur. Bernard Kouchner était censé apporter des éléments de réponse à cette crise. En vain. Il a néanmoins appelé à une élection présidentielle sans délai et a exhorté « la communauté internationale à exercer en ce sens la plus grande influence possible ». Dans ce contexte, la candidature d'un seul homme semble envisageable. C'est celle du général Michel Sleimane, commandant de l’armée. Il est soutenu par des pays arabes puissants comme l’Egypte et l'Arabie saoudite. La France et les États-Unis n'auraient a priori aucune raison non plus de s'y opposer. « Le Général Sleimane est un candidat agrémenté par la Syrie. Il a fait ses preuves dans sa gestion de la crise à Nahr el-Bared : il a réussi à éradiquer le Fatah al-Islam de ce camp de réfugiés palestiniens. C'est le candidat du compromis. Il est un gage pour l'unité du Liban. », assure Gérard D. Khoury. Toutefois, cet éventuel futur président, a fait preuve d'habileté en évitant de se prononcer sur la question du désarmement du Hezbollah. Une question qu'il faudra pourtant bien aborder pour espérer obtenir la paix au Liban.

Fragilité

« Le parti de Dieu », plus connu sous le nom de Hezbollah, a été fondé en 1982. Mouvement politique chiite libanais à l'origine, il est aujourd'hui assimilé à un réseau terroriste du fait de sa branche armée. Pour l'Iran et la Syrie, le Hezbollah est au contraire un mouvement de résistance et c'est à ce titre que les deux pays participent à son financement. Le 2 septembre 2004, la résolution 1559 adoptée par le conseil de sécurité de l'ONU prévoyait le désarmement et la dissolution de toutes les milices libanaises. Le Hezbollah était principalement visé mais aussi la milice chrétienne du nom de Forces Libanaises. Une autre résolution, la 242 du Conseil de sécurité de l'ONU, réaffirmait également en 2004 l'indépendance politique du Liban. La candidature du général Michel Sleimane à une élection présidentielle semble ouvrir la porte à son application. Mais le Liban n'est à l'abri d'aucun bouleversement. Il est aujourd'hui au bord de l'abîme. Et tant que ces deux résolutions n'auront pas été entièrement appliquées, la paix semble sévèrement compromise au Liban.

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Floriane Bléas
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